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Chroniques
récital Giulia Nuti
Eckard – Hüllmandel – Mozart – Schobert – Tapray
Musicienne, enseignante et chercheuse, Giulia Nuti propose un programme singulier, digne d’attention. En effet, il regroupe cinq pièces associées à un âge d’or du clavecin français, écrites ou publiées vers 1770, avant que la Révolution ne vienne y mettre un terme par la destruction physique (musiciens, instruments) et culturelle (technique de pointe des facteurs). La musicienne joue ici un clavecin anonyme du XVIIe siècle, ravalé selon un usage courant par Pascal Taskin en 1788, qu’elle apprécie pour sa sonorité douce et ses attaques rondes. Elle explique :
« on enlevait leurs éclisses, on agrandissait ou changeait leurs tables d’harmonie, un clavier était ajouté et l’étendue de l’instrument était élargie d’une octave. L’invention du registre de peau de bufflea permis d’élargir les possibilités de dynamique grâce au simple changement du matériau utilisé pour pincer les cordes (du cuir au lieu de la plume).On installa des genouillères pour permettre au musicien d’ajouter et de retrancher des registres tout en jouant, sans avoir à lever ses mains du clavier ».
Premier Français du récital, Jean-François Tapray offre le double mystère de sa naissance (1738 ? 1739 ?) et de sa disparition – certaines sources indiquent « entre 1810 et 1819 », d’autres, plus timidement, « après 1798 ». Passant d’un orgue à l’autre (Dole, Besançon, Langres, etc.), ce Lorrain devient titulaire de celles de l'École royale militaire (Paris). En parallèle, il donne des leçons de clavecin et consacre une Méthode au piano-forte, avant de réparer des instruments lorsque la maladie l’oblige à démissionner. Les Sauvages avec quatre variations est, on s’en doute, un hommage à Rameau et à ses Indes galantes (1736) [lire notre critique du CD].
On n’est pas sûr non plus de l’âge de Johann Schobert (c.1735-1767), ni de son pays de naissance (Silésie ? Allemagne ?). Mais on le sait claveciniste et compositeur de style galant (à l’instar de Balbastre, Couperin, Duphly, etc.), installé à Paris vers 1760, puis marié à une Française avec laquelle il périrait d’une intoxication aux champignons. De façon originale, il mêle Vienne et Venise. Chacun des trois mouvements de sa Sonate en mi bémol majeur Op.14 n°1 s’avère bien caractérisé, par son agilité ou son élégance.
Rival du précédent, le Bavarois Johann Gottfried Eckard (1735-1809) arrive à Paris en 1758, où l’entraine le facteur Johann Andreas Stein – on doit à ce dernier le Melodika, un petit orgue où le toucher influence le volume, ou encore des « vis-à-vis » réunissant clavecin et piano. Autodidacte, cet héritier de C.P.E Bach va bientôt briller comme concertiste et devenir le premier à publier des sonates pour piano solo dans notre pays, annonçant, voire influençant Haydn et Mozart. Parmi les rares pièces conservées, Nuti a choisi sa Sonate en si bémol majeur Op.1 n°1 dont le côté boîte à musique du Cantabile initial marque l’esprit.
Vers l’âge de vingt ans, Joseph Hüllmandel (1756-1823) quitte Strasbourg pour Paris où l’attend un succès mondain et artistique. Professeur de Jadin et d’Onslow, ce fils et neveu de violoniste publie quelques opus pour clavier seul ou accompagné, avant d’être chassé vers Londres par les événements politiques. Conçue en deux parties, sa Sonate en la mineur Op.3 n°2 débute avec gravité, gagne en fantaisie pour s’éteindre dans un chantonnement quelque peu champêtre.
Schobert et Eckard nourrissent le jeune Mozart (1756-1791) qui ne cache pas son admiration – les Andante de ses Concerti pour piano K.39 et K.40 s’inspirent respectivement du premier (Op.17 n°2) et du second (Op.1 n°4). Écrite durant le deuxième séjour parisien de Wolfgang (1778), enregistrée par tant de pianistes depuis Schnabel (1939), la Sonate en la mineur K.310 offre de forts contrastes entre une fougue douloureuse, quasi brutale, et un cœur apaisé.
LB